Mainstream ou Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias

Pourquoi le Qatar a-t-il acheter le PSG et toute sa constellation de stars ? Pourquoi sont-ils prêts à corrompre la FIFA pour organiser la prochaine Coupe du monde ? Comment se fait-il qu’un pays pas plus grand qu’un confetti ait une telle présence médiatique ?

Soft power. Pouvoir doux.

 »Le soft power ou la puissance douce est un concept utilisé en relations internationales. Développé par le professeur américain Joseph Nye, il a été repris depuis une décennie par de nombreux dirigeants politiques. Colin Powell l’a employé au Forum économique mondial en 2003 pour décrire la capacité d’un acteur politique – comme un État, une firme multinationale, une ONG, une institution internationale (comme l’ONU ou le FMI) voire un réseau de citoyens (comme le mouvement altermondialiste) – d’influencer indirectement le comportement d’un autre acteur ou la définition par cet autre acteur de ses propres intérêts à travers des moyens non coercitifs (structurels, culturels ou idéologiques). Si le concept a été développé aux États-Unis vers 1990, la notion est née au XIXe siècle au Royaume-Uni. C’est, en partie, à travers la culture britannique, sa littérature (Shakespeare, les enquêtes de Sherlock Holmes, Lewis Carroll et Alice au pays des merveilles) ou, par l’adoption par de nombreux pays, de normes comme les notions de fair-play et d’amateurisme (que l’on doit à Thomas Arnold, un préfet des études du collège de Rugby1), que le Royaume-Uni a pu exercer au XIXe siècle et au début du XXe une forte influence. »

Source : wikipedia

Il s’agit de tous les instruments d’influences et de domination indirectes mis en place par des États pour mouler les esprits et orienter les comportements d’achat ou de réflexion. Le  »soft power » s’exerce donc dans les domaines culturelles, caritatifs et sportifs. Et permet in fine, d’avoir des résultats politiques et économiques bien plus intéressants que si ces puissances exerçaient des pressions directes, des menaces et des rétorsions sur un autre Etat.

Ces influences douces, indirectes concourent à améliorer l’image de marque d’un pays, à lui permettre d’être accepté, sinon toléré dans l’univers mental et social d’un autre pays. Le  »soft power » est américain de conception et la domination américaine mondiale s’explique en partie grâce à sa puissance militaire mais aussi grâce à sa puissance douce. L’Amérique domine culturellement le monde depuis les années 40.  »American way of life ». Partout et même dans les pays les plus antiaméricains.  »Coca-cola, McDonald’s, le Hip Hop, Disney, Hollywood, Vogue, Playboy, baseball, NBA, Streetwear, »… Frédéric Martel dans ce livre nous explique comment l’Amérique a réussi à influencer tous nos modes de vie. Grâce à ces outils de sensibilisation, de promotion, de propagande de style de vie et de consommation, les USA ont conquis tous les recoins de la planète.

Aujourd’hui, d’autres pays, occidentaux et émergents, ont l’ambition d’affronter l’ogre américain en usant de protectionnisme et de  »soft power » aussi pour étendre leurs influences par la culture. La Chine en est un exemple marquant. La France résiste à la déferlante américaine au cinéma grâce à des barrières à l’entrée de son marché intérieur. Le Qatar a dégainé avec  »Al-Jazeera » dans le champs de l’information et est en passe de réussir son essai en Asie. Le Brésil vend ses  »telenovelas » partout en Amérique Latine et en Afrique et veut asseoir son influence dans le développement des relations Sud-Sud. La Corée du Sud fait pareil avec ses groupes musicaux en Asie. Bref, Frédéric Martel raconte comment le  »soft power » est devenu un élément incontournable des relations internationales et comment les cartes sont entrain d’être rebattues dans les différents pans qui constituent la culture : le cinéma, la télévision, la musique, l’édition.

Grâce à son livre, l’on voit qui risquent d’être les gagnants de cette guerre, qui sont ceux qui ont déjà perdu et qui sont ceux qui sont en passe de tout perdre s’ils ne repensent pas leur géopolitique culturelle.

Mainstream ou comment mondialiser sa culture ?

 »C’est aux Etats-Unis, dans un avion qui me conduisait de Los Angeles à Washington, que j’ai eu l’idée d’intituler ce livre Mainstream. Le mot, difficile à traduire, signifie littéralement  > ou >, et s’emploie généralement pour un média, un programme de télévision ou un produit culturel qui vise une large audience. Le Mainstream, c’est l’inverse de la contre-culture, de la subculture, des niches… »

 »Page 19, Mainstream »

Au travers des 1200 entretiens qu’il a eu avec des intervenants de premier ordre dans les diverses industries culturelles, Martel s’attèle à décrire, montrer, expliquer, le fonctionnement de ces industries, de leur lieu de conception aux lieux de diffusion. L’Amérique y tient une place prépondérante car l’Amérique est la matrice de cette stratégie d’exportation de ses valeurs et de sa culture dans le reste du monde. Protéger son marché intérieur, Préserver sa sphère d’influence, conquérir de nouveaux esprits et donc de nouveaux marchés, évincer l’Amérique et devenir  »Mainstream ». L’objet du livre de Martel est d’expliquer ou plutôt d’essayer d’expliquer comment l’Amérique fait et diffuse du  »mainstream », à savoir comment l »’american way of life » est devenu le standard mondial. Comment devient-on  »mainstream » ? Comment fabrique-t-on du  »mainstream », du grand public ? Comment mondialise-t-on sa culture ?

Frédéric Martel a couru les 5 continents et interviewé les acteurs de chaque milieu culturel.

La première partie est consacrée à Hollywood. Il désosse purement et simplement Hollywood et nous démonte tous les mécanismes de création et de distribution mondiale du cinéma américain. C’est une plongée dans les entrailles du deuxième poste d’exportation des USA ( »qui s’en doutait ? »), et qui permettra de battre en brèche l’idée générale selon laquelle hollywood ne produit que de la merde. Ils font des films qui plaisent à toutes les catégories sociales, d’autres destinés à des publics très ciblés et même des films de niches ( »indépendants »). Martel nous explique en détails comment Hollywood a réussi à occuper tous les segments du marché, des blockbusters au cinéma d’auteurs comme on aime à dire en France. L’on découvre par exemple qu’ils investissent des millions, des grandes universités, du matériel  pour former les acteurs, les réalisateurs, les techniciens. Tous les ingrédients nécessaires à la production de films sont pensés, intégrés et protégés dans un seul but: irriguer en permanence les studios de cinéma avec des films, des séries télévisés pensées, intégrées et protégées dans le seul but de couvrir la demande nationale et internationale. Cette partie pourrait constituer un excellent livre de vulgarisation du fonctionnement de Hollywood. De l’idée au spectateur assis derrière son seau de pop-corn, tout est réfléchi.

 »Contrairement aux responsables des studios hollywoodiens qui prennent des risques et, parfois, jouent à la roulette russe, les patrons de salles de cinéma savent parfaitement ce qu’ils font : ils savent qu’ils sont dans le commerce de pop-corn. »

 »Page 52, Mainstream »

Et cette organisation draconienne explique en partie la domination des USA sur l’image des téléspectateurs à travers le monde. L’on pourra aussi voir comment la politique via certains dirigeants de syndicats, de lobbyistes, de producteurs et autres personnes qui dirigent ce business, contrôle en sous-main Hollywood et véhicule les idées et idéologies américaines tout en protégeant son marché. L’on découvre qu’ Hollywood baigne dans l’ultra-protectionnisme et que les studios se permettent des choses (dumping, corruption, trafics d’influences, pressions auprès des salles,…) qu’ils n’oseront jamais dans leur pays. Pour faire court, aux USA, le cinéma est une industrie, un business, une affaire sérieuse qui nourrit des millions de personnes et qu’on n’y fait pas n’importe quoi, mais qu’en dehors, tout est permis.

La qualité des personnes interrogées (la meilleure; Anne Hamburger, présidente de Disney Creative Entertainment; sacrée coïncidence !) et les recoupements qu’il effectue permettent de prendre la mesure de cette pieuvre mentale qui, sous des aspects extérieures sympathiques et légers, est une véritable machine à phagocyter les autres industries locales dans les pays dans lesquels les USA déversent leurs produits culturels. Vous apprendrez que les sorties dans 8 pays majeurs à travers le monde comptent réellement, comment les dates de sorties de films sont négociées à l’extérieur par les studios, pourquoi certains acteurs gagnent des fortunes, le rôle central des scénaristes et leur génération (contrairement à ce qu’on croit, les studios investissent beaucoup sur les idées et les têtes, le cas de Disney est marquant), comment les américains se sont cassés les dents en Chine et comment ils comptent se refaire en Inde… Bref, c’est une orgie d’informations utiles et d’anecdotes (  »Au cours de mon enquête, on m’a plusieurs fois cité la phrase de George W. Bush, alors président des Etats-Unis , arrivant en Amérique latine et s’excusant devant le public d’un meeting : > (pardonnez-moi, je ne parle pas latin) » Page 401),

Par la suite, ce dernier s’attèle à expliquer d’autres univers comme la musique ou l’édition avec la même minutie et les explications des acteurs de premier rang interviewés portent le faisceau de lumière sur la stratégie concoctée pour chaque marché et les résultats. Il aborde aussi le cas d’autres pays comme la Chine, le Venezuela, le Brésil, le Mexique, la France et l’Angleterre, le Japon, la Corée du Sud, la Chine, Singapour… qui organisent leurs marchés intérieurs de façon à résister, atténuer ou éliminer l’impact des produits culturels américains. L’on apprend par exemple que parmi les 4 majors de la musique mondiale, seule une est américaine (Warner, Universal Music est française). Mais toutes sont drivées à l’américaine.  Le cas de l’édition permet aussi de comprendre comment l’Amérique s’adapte pour mieux contrôler ces secteurs économiques.

Chaque modèle est passé au crible, avantages, inconvénients, spécificités et axes de développement ( »telecoainment, intégration verticale, protectionnisme et quotas, lutte contre le piratage, reproductions locales des modèles globo-américains MTV, CNN… »). C’est dense, riche, et très instructif. Chaque page tournée recèle d’informations, de clés de compréhension, d’entretiens édifiants, de visions. Il lui aura fallu 5 ans pour mener son enquête et écrire son livre. ça se voit.

La dernière partie résume les différents modèles majeurs dans marchés majeurs, les avantages de chaque modèle dans la télévision, le cinéma, la musique, l’édition. Il nous donne son point de vue, riche de toutes ses pérégrinations et propose des moyens d’exister dans cette guerre ouverte à tous et où tous les coups sont permis. Les acteurs majeurs comme la Chine, les USA, l’Égypte, le Qatar, l’Inde, la Corée, Singapour; les acteurs en déclin : France, Italie, Royaume-Uni, Russie, Portugal; les acteurs inexistants, les dominés : Afrique (avec le cinéma nigérian, le piratage, et inexistence des américains. Petite erreur sur ll’ethnie de Marylin Douala Bell :  »la fille d’un des principaux chefs de l’ethnie bamiléké de Douala, page 509 »), Maghreb, Amérique latine, les autres pays d’Europe… En fonction de son statut, l’on a un diagnostic et des pistes d’amélioration.

Dans un monde aussi globalisé, il est indispensable pour tous de connaître et comprendre les batailles que mènent les puissances actuelles et en devenir pour façonner les représentations, les images, les mentalités. Que seraient les USA sans Hollywood ?

La culture est une industrie et non un jeu.  »Mainstream » nous démontre que la culture est raisonnée, et concourt à dominer les âmes et les peuples. La France perd aussi de son influence dans le monde parce qu’elle n’a pas vraiment pris en considération la dimension stratégique des produits culturels.

Show business. Pas  »Show arts » comme dit l’un des interviewés. La culture est un business, le business du divertissement. La culture est une arme. Ce n’est pas un jeu ( »faudrait le redire à tous ces réalisateurs merdiques qui polluent nos écrans avec leur pseudo cinéma d’auteurs »). Hollywood ne fait pas des films pour se branler sur leur intelligence, mais pour dominer les esprits, vendre des  »pop-corn », du Coca-cola et l’Amérique.

Comme à notre habitude, nous avons sollicité un entretien avec Frédéric Martel et ce dernier s’est finalement chié dessus. Il n’en demeure pas moins que son livre est très instructif, et accessible à tous. Il a taffé pendant 5 ans et ce qu’il livre est d’excellente qualité. Nous le mettons dans notre chaîne de lecture.

Osez le bon sens !

YDM

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