[Une Autre Histoire] La traite et l’esclavage vus par Alexandre Dumas

Vouloir séparer les Dumas de l’esclavage – comme l’ont fait les collaborateurs à Paris en 1943 et comme a tenté de le faire Franck Briffaut, le maire (Front national) de Villers-Cotterêts, en 2014 – c’est vouloir occulter un texte peu connu d’Alexandre Dumas où la traite et l’esclavage (condition subie par le général Dumas et sa mère) sont dénoncés avec une violence peu commune.

La traite et l’esclavage vus par Alexandre Dumas

Sans doute, vous savez ce qu’est la traite ? Non vous ne le savez pas ou, du moins, vous n’avez jeté qu’un regard superficiel sur cette opération étrange où les hommes se sont faits vendeurs d’hommes.

Quand un capitaine négrier veut faire la traite, il s’approche des côtes d’Afrique et fait prévenir quelqu’un de ces petits souverains qui bordent la côte qu’il est là, porteur de marchandises d’Europe, et qu’il voudrait échanger ces marchandises contre un chargement de deux ou trois cents nègres ; puis il envoie un échantillon de ses marchandises au souverain avec lequel il veut traiter, fait accompagner ces échantillons d’un présent d’eau-de-vie et attend.

Hélas, il n’attend pas longtemps : l’obscurité venue, il peut voir l’incendie courir de village en village ; dans le silence nocturne, il peut entendre les plaintes des mères à qui on arrache leurs fils, des enfants à qui on arrache leur père, et, au milieu de tout cela, les cris de mort de ceux qui aiment mieux mourir tout de suite que d’aller traîner une vie languissante loin du toit de la famille, loin du ciel de la patrie.

Le lendemain, on raconte à bord que le roi nègre a été repoussé ; que les malheureux qu’on voulait enlever ont combattu avec l’acharnement du désespoir ; qu’une nouvelle attaque est organisée pour la nuit prochaine et que la livraison de la marchandise ne peut être faite que le lendemain.

La nuit venue, le combat, l’incendie et les plaintes recommencent ; le carnage dure toute la nuit, et, le matin, on apprend qu’il faudra encore attendre jusqu’au lendemain si l’on veut avoir la cargaison demandée.

Mais, cette nuit, on l’aura certainement, car le roi repoussé a ordonné à ses soldats de prendre les esclaves promis dans ses propres états ; il fera entourer deux ou trois de ses villages à lui, et, fidèle à la parole donnée, il livrera ses sujets, ne pouvant livrer ses ennemis.

Enfin, le troisième jour, on voir arriver quatre cents nègres enchaînés, suivis des mères, des femmes, des filles et des sœurs, si l’on n’a besoin que d’hommes ; car, si l’on a besoin de femmes, les femmes, les filles et les sœurs sont enchaînées avec les frères, les pères et les maris.

Alors, on s’informe et l’on apprend que, pendant ces deux nuits, quatre mille hommes ont péri pour que le roi spéculateur arrivât à en livrer quatre cents.

En ne croyez pas que j’exagère : je raconte ; je raconte ce qui est arrivé.

Maintenant, jetons les yeux sur cette côte aride. Voyons-y les malheureux nègres couchés et exposés nus aux regards et à l’investigation des fréteurs européens.

Quand les chirurgiens ont attentivement examiné ceux des nègres qu’ils jugent sains, agiles, robustes et bien constitués, ils les approuvent comme bons, les reçoivent au nom du capitaine, ainsi que des chevaux et des bœufs et, ainsi que des chevaux et des bœufs, ils les font marquer à l’épaule avec un fer rouge : cette marque, ce sont les lettres initiales du nom du vaisseau et du commandant qui les a achetés.

Puis, au fur et à mesure qu’on les marque, on les enchaîne deux à deux et on les conduit au fond du navire qui, pendant deux mois, doit leur servir de prison ou de tombeau.

Souvent, pendant une traversée – tant leur horreur de l’esclavage est grande ! – deux, quatre, six de ces malheureux conviennent de se jeter à la mer, exécutent leur dessein et, comme ils sont liés, trouvent la mort dans les profondeurs de l’Océan.

Cependant, comme on les surveille de près, le plus grand nombre des esclaves arrivent ordinairement dans le vaisseau. Aussitôt, ils sont descendus à fond de cale; c’est là que cinq ou six cents malheureux sont entassés pêle-mêle dans un espace mesuré à la longueur de leur corps, ne voyant la lumière que par l’ouverture des écoutilles, ne respirant nuit et jour qu’un air qui d’insalubre, devient pestiféré par le séjour constant des exhalaisons humaines et des excréments qui y séjournent ; alors, du mélange de toutes ces exhalaisons putrides, résulte une infection douloureuse qui corrompt le sang et cause une foule de maladies inflammatoires, lesquelles font périr le quart et quelquefois le tiers de tous les esclaves dans le seul espace de deux mois ou trois mois et demi que dure ordinairement la traversée.

Beaucoup refusent de manger dans l’espoir de finir leurs tourments par une mort plus prompte ; mais sur ce refus de manger, on brise avec des barres de fer, à plusieurs endroits, les bras et les jambes des malheureux récalcitrants qui, par les cris horribles qu’ils poussent, répandent l’effroi parmi leurs compagnons et les obligent à faire, dans la crainte de subir le même traitement, ce qu’ils refusaient à faire avec autant de force que de raison.

Le capitaine d’un bâtiment s’aperçut que plusieurs esclaves se parlaient à l’oreille, que plusieurs femmes avaient l’air de propager un secret ; il s’imagina enfin que plusieurs noirs conspiraient pour recouvrer leur liberté ; alors, sans s’assurer si ses soupçons étaient fondés, savez-vous ce que fit le capitaine ? Il condamna sur-le-champ deux de ces malheureux à mort, un homme et une femme, et prononça la sentence en étendant la main vers l’homme qui devait mourir le premier ; à l’instant même, le malheureux fut égorgé devant ses frères, puis on lui arracha le cœur, le foie et les entrailles, qui furent répandus à terre et, comme ils étaient trois cents esclaves sur le bâtiment, on coupa le cœur, le foie et les entrailles en trois cents morceaux qu’on força les compagnons du mort de manger crus et ensanglantés, le capitaine menaçant du même supplice quiconque refuserait cette horrible nourriture.

 

Lire la suite sur Une Autre Histoire

 

 

Osez le bon sens !

YDM

 

 

Be the first to comment on "[Une Autre Histoire] La traite et l’esclavage vus par Alexandre Dumas"

Leave a comment