Résistance ou Collaboration. Que choisir ?

Pierre Desproges, né le 9 mai 1939 à Pantin, mort le 18 avril 1988, à Paris, est un humoriste français réputé pour son humour noir, son anticonformisme et son sens de l’absurde.

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Résistance ou Collaboration. Que choisir ?

Que choisir ? Tout, dans la vie, est affaire de choix. Cela commence par : > Et cela s’achève par : > D’ici à là, de sa naissance à sa mort, l’homme est en permanence confronté à des choix. (Quand je dis >, je dis l’Homme en tant qu’espèce. Encore que la femme soit moins souvent confrontée à ces choix, dans la mesure où elle a intérêt à s’écraser en restant obscure passive et réservée, selon la formule chère aux vrais Hommes, c’est-à-dire ceux qui prennent leur petite bistouquette à la fois pour un bâton de maréchal et pour un diplôme de chef de rayon aux galeries de la femme battue.)

Que choisir ? Fromage ou dessert ? La cigale ou la fourmi ? La bourse ou la vie ? Jacob ou Combaluzier ? Le sabre ou le goupillon? Labourage de crâne ou pâturage de dents ? La gauche ou Mitterrand ? Un baril de merde ou deux barils d’une lessive quelconque ? Le bœuf ou l’âne gris ? La valise ou le cercueil ? La liberté ou la mort ? La guillotine ou le garrot ?

Au cours de ma vie, qui n’a été qu’une féerie d’aventures extraordinaires et de rebondissements sur des sommiers dont j’ai oublié le nom, j’ai eu l’occasion d’être confronté à des choix terribles.

J’avais trente-cinq ans en 1940. C’est vrai. J’en ai soixante-seize aujourd’hui. Je sais , je ne les fais pas. Maisl j’ai un secret. Si j’ai su, jusqu’à aujourd’hui, conserver ce teint de jeune fille, c’est que j’utilise pour ma toilette intime la brosse à dents > aux rayures rouges en vente partout dix francs. Pas d’utilisation prolongée sans avis médical. D’autre part, je prends toujours soin de retarder le vieillissement de mes cellules en menant une vie d’ascète, et en apaisant mes ardeurs printanières avec Calmolive, le savon des stars, qui calme aussi les prunes. J’ajouterai que je me flatte de retarder ma sénilité tout en contribuant à une grande cause nationale en mangeant des bananes, car la banane vaut un bifteck. Encore que je préférerais un cheval entier, à cause de la beauté de son regard, qu’on ne retrouve pas dans la banane. Enfin, j’arrive à rester bronzé été comme hiver sans jamais sortir de chez moi grâce au vin des Branchés, le velours de la Tronche, qui donnera à votre couperose ce teint éclatant que vous envieront bien des chiottes entartrées. Légèrement aphrodisiaque comme son nom l’indique, le vin des Branchés, qui nettoie tout du sol au plafond, est le décapant idéal du système digestif. Pas d’utilisation prolongée sans avis médi… hic… al.

Que choisir quand on a trente-cinq ans en 1940 ? écrivais-je, lorsque je fus, une fois de plus, interrompu par moi-même malgré mes remarques réitérées.

Eh bien, en ce qui me concerne, en 1940, j’ai longtemps hésité entre la Résistance et la Collaboration.

Il faut bien voir qu’en une période troublée comme le fut celle-ci, les courses de chevaux du dimanche étaient fréquemment annulées; et la seule façon de se distraire après la messe, c’était de faire ou de la Résistance ou de la Collaboration. Mais que choisir ?

La Collaboration, c’était le bon droit, la respectabilité, le costume-cravate, du sucre, un prie-Dieu à Saint-Honoré d’Eylau.

Oui, mais, la Résistance, c’était la vie au grand air, youkaïdiyoukaïda, la chasse aux girolles et les feux de camps sous la lune avec les copains.

Oui, mais, la Collaboration, c’était la possibilité d’apprendre une jolie langue étrangère à peu de frais.

Oui, mais, dans la Résistance on s’amuse : Boum ! le train ! Boum ! la voie ferrée ! Boum ! le petit viaduc !

Oui, mais, dans la Collaboration, on ne fait pas sauter des ponts, mais on peut sauter des connes.

Oui, mais, dans la Collaboration, pour bien gagner sa vie, il faut dénoncer des Juifs. Ce n’est pas très marrant de dénoncer des Juifs.

Oui, mais, dans la Résistance, on ne dénonce pas les Juifs, mais il faut vivre avec. Ce n’est pas très marrant non plus.

En bref, à force de tergiverser, je n’avais toujours pas pris de décision le 25 août 1944 quand je vis soudain des centaines de chars débouler dans la rue de Rivoli. Je m rappelle très bien ce matin-là. Il faisait un temps splendide, je me promenais sous les marronniers en fleur des Tuileries. Le fracas des chaînes des tanks faisait trembler la poussière. Une jeune inconnue s’approcha de moi. Elle était blonde et belle, au regard bleu.

– Monsieur ! Monsieur ! s’écria-t-elle en me pressant le bras, avec des larmes de joie dans les yeux. Monsieur, regardez ! Ce sont les Américains ! Et les Français aussi ! Votre pays est libéré, Monsieur !

– Pourquoi dites-vous > pays ?

– C’est que je suis citoyenne helvétique, de Berne.

En effet, elle avait un sassez fort accent germanique. J’ai juste eu le temps de la tondre. Les FFI arrivaient.

Manuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis de Pierre Desproges

Le livre est disponible dans notre chaîne de lecture.

Osez le bon sens !

YDM

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