Oppression des noirs et résistances en Asie

Les noirs sous le joug asiatique

 

L’esclavage noir dans le monde est un sujet sensible et délicat surtout lorsqu’on y consacre une publication historique. Cependant, l’histoire de la présence africaine en Asie ancienne resterait incomplète si on ne prenait pas en compte le fait que des Noirs y furent également serviteurs et esclaves. Une idée très répandue soutient que les grandes migrations internationales de Noirs ne se seraient produites que sous le couvert de l’esclavage, or, comme nous avons pu le voir, il apparaît que tel ne fut pas le cas. Afin de permettre la meilleure compréhension possible de l’histoire des Africains en Asie antique, la question de la servitude doit être examinée avec objectivité, aussi douloureux que cela puisse être.  Dans ce contexte, il est important de souligner que la période d’asservissement des Noirs dans les pays asiatiques ne constitue que l’un des pans d’une histoire bien plus vaste. De fait, la période d’asservissement est infime quand on la compare aux époques de gloire et de splendeur noire de l’antiquité asiatique. Même sous les traits d’esclaves et d’affranchis, les Noirs d’Asie se sont distingués plus d’une fois et dans de nombreux rôles.

 

La question de la servitude des Noirs en Asie est étroitement liée à la diffusion ancienne de l’Islam dans les régions australes et occidentales. En effet, avec les succès remportés par les djihads islamiques, de nombreux « infidèles » vaincus de toutes les races tombèrent entre les mains des musulmans et furent déplacés dans les pays qui se trouvaient sous leur domination. Bien que l’esclavage n’ait nullement été restreint aux seuls Noirs, le nombre croissant d’esclaves noirs dans les pays musulmans a fini par atteindre une proportion telle, qu’à une certaine époque le mot arabe abd pour esclave ne s’appliqua plus qu’à eux seuls.

 

De tous les territoires d’Asie occidentale, c’est probablement en Mésopotamie c’est-à-dire l’Irak actuelle, que la présence de Noirs, quoiqu’en qualité d’esclaves et de descendants d’esclaves , est la plus manifeste. Dhu’l Nun al Misri, né en Haute Égypte autour de 796 apr. J.-C., en est un exemple caractéristique. Il fut le chef reconnu des Soufis et est considéré comme le fondateur de cette doctrine du mysticisme islamique. Il aurait été le premier énonciateur des concepts soufis d’états extatiques et de voies mystiques vers l’authentique connaissance de Dieu.

 

Dans la première partie nous avons largement mentionné Abou Uthman Amr ibn Bahr Al Jahiz,  776 – 868 apr. J.-C., érudit aux multiples talents vivant dans le monde islamique au neuvième siècle, qui était, à l’instar de son prédécesseur Dhu’l nun, un habitant noir de la Bagdad ancienne. Al Jahiz était un théologien, anthropologue, naturaliste, zoologue, philosophe et philologue. Il avait été l’élève du plus grand savant de cette époque et fut un écrivain prolifique qui vécut à une époque où l’ostracisme racial frappant les Noirs prenait la forme d’une réalité patente dans les pays musulmans. Son ouvrage littéraire le plus important est le très controversé livre « Titres de Gloire des noirs sur les blancs » (kitab Fakhr As Sudan Ala Al Bidan, voir page 98 pour données bibliographiques complètes). Pensant contribuer à l’endiguement du racisme contagieux dont souffrait les Noirs, l’auteur exalta ce qu’il considérait être les nombreuses vertus supérieures, tant biologiques que culturelles, des Noirs par rapport aux Blancs.

C’est également en Irak que se produisirent les plus importantes rébellions d’esclaves africains.  Des dizaines de milliers de laboureurs esclaves en provenance d’Afrique orientale et surnommés Zanj avaient été rassemblés dans ce pays. Ils travaillaient dans les marais humides et salés dans des conditions de misère extrême. Conscients de leur grand nombre et du caractère oppressif de leurs conditions de travail, les Zanj se rebellèrent à au moins trois reprises entre les septième et neuvième siècles. La plus importante rébellion dura quinze ans, de 868 à 883 apr. J.-C. Durant cette période, les Noirs infligèrent défaite sur défaite aux armées arabes qui leur furent envoyées. Nous avons largement décrit la fameuse « Révolte des Zanj » dans la première partie du livre.

 

L’inde reçut également son lot de serviteurs africains : le plus célèbre d’entre eux étant Malik Ambar. Ce dernier, comme nombre d’anciens esclaves africains, s’éleva à des postes de grande autorité et même jusqu’au rang de souverain. Par contre, en ce qui concerne les masses anonymes et une influence à long terme, le premier rang est tenu par les navigateurs africains que l’on nomme Siddis. En effet, des royaumes Siddis furent établis en inde occidentale dans le janjira et dans le Jaffrabad dès l’an 1100 apr. J.-C. Après leur conversion à l’Islam, les afranchis africains de l’Inde, originellement appelés Habshis en arabe, prirent le nom de Sayyad, descendants de Mahomet, et furent connus à partir de ce moment là sous le nom de Siddis.

 

Les Siddis formaient un groupe soudé, très agressif voire féroce au combat. Ils furent principalement employés comme forces de sécurité par les flottes musulmanes en inde occidentale, fonctions qu’ils conservèrent durant plusieurs siècles. Les commandants Siddis reçurent les titres d’amiraux de l’empire Moghol, percevant un salaire annuel de 300 000 roupies. Selon l’éminent écrivain musulman Ibn Battuta (1304 – 1377 apr. J.-C.), qui voyagea à travers l’Afrique et l’Asie, les Siddis sont les garants de la sécurité sur l’Océan indien ; il suffit d’un seul d’entre eux sur un navire pour que les pirates indiens et les idolâtres évitent celui-ci. » Il est à noter que les esclaves noirs d’Asie n’étaient pas exclusivement originaires d’Afrique. Durant les quatorzième et quinzième siècles, par exemple, le sultanat Indonésien musulman de Tidore fut un grand pourvoyeur d’esclaves razziés sur les côtes de la Nouvelle Guinée qui étaient ensuite vendus sur les marchés aux esclaves  de Chine, de Turquie et d’Irak. C’est vraisemblablement durant cette période que le terme malais papou (littéralement « cheveux crépus ») devint synonyme d’esclave.

 

Runoko Rashidi

Histoire millénaire des Africains en Asie

Histoire des Diasporas, pages 141-144

 

 

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