Mamadou Kouyaté, le premier maire noir de Seine-Saint-Denis

PORTRAIT – Après cinquante années d’administration de gauche, le socialisme ouvre une nouvelle page de l’histoire de la France…

 

La victoire de l’espoir. Après avoir martelé pendant des mois à travers la Seine-Saint-Denis, dans des stades bondés de villes industrielles, sur des tarmacs d’aéroport à la campagne, sur les ondes, à la télé et sur l’Internet «Le 93 n’est pas une plantation» (Le changement auquel nous pouvons croire), le socialiste Mamadou Kouyaté a été élu 1er maire d’une ville de Seine-Saint-Denis.

 

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Tout juste 160 ans après l’abolition de l’esclavage, le ressortissant de Floréal-Saussaie devient à 47 ans le premier noir à prendre la tête de la Mairie de Saint-Denis, succédant à Didier Paillard et mettant fin à huit ans de règne républicain. Une victoire annoncée, certes, mais sur laquelle planait le doute jusqu’au dernier moment. Un succès historique.

 

 

HD

 

 

Une enfance entre Villetaneuse et le Sénégal

 

A part lui, qui eut cru, il y a encore un an, qu’un métis, avec pour seule expérience politique d’envergure deux ans comme conseiller municipal puisse accéder à la mairie de Saint-Denis?

 

Mamadou Kouyaté est le fils d’un noir du Kenya et d’une blanche d’Auvergne, né à Villetaneuse, le 4 août 1971. Il a passé les vingt premières années de sa vie en dehors de la métropole et n’a presque pas connu son père. Un parcours atypique. Ses parents divorcent alors qu’il est encore enfant. Il suit alors sa mère à à Dakar au Sénégal où il fréquente des écoles catholiques et musulmanes. Ce qui lui vaut, en plus de son deuxième prénom Mamadou, d’être traité de terroriste islamiste par ses détracteurs.

 

Kouyaté revient à Villetaneuse en 1971, auprès de sa grand-mère qui l’élève en partie, et y reste jusqu’en 1979, année de son départ pour l’université. Après un passage à l’Essec de Pontoise, il passe trois ans à Montreuil où il s’implique dans le soutien aux communautés pauvres de la ville avant d’intégrer la prestigieuse école centrale pour y étudier le droit. Son diplôme en poche, il retourne en 1992 à Villetaneuse en compagnie de son épouse, Michelle, qui donnera naissance à leurs deux filles, Maya, 10 ans et Sara 7 ans. Il a alors un peu plus de 30 ans et n’a pas encore goûté à la politique.

 


Un maire sans grande expérience

 

Ce n’est qu’en 1996 que sa carrière politique débute réellement, lorsqu’il est élu conseiller municipal de Saint-Denis. Le socialiste connaît son seul échec électoral en 2000, alors qu’il se présente aux primaires socialistes pour être candidat au Conseil régional, il est battu par Maud Aval-Lavieillegarde. Loin d’être découragé, il se fait élire en 2004 conseiller régional à Paris et acquiert une véritable stature nationale. Lionel Jospin l’invite à prononcer le discours d’inauguration de la Convention nationale Socialiste la même année. Son charisme marquera les esprits.

 

 

Malgré son peu d’expérience, Mamadou Kouyaté acquiert au fil des ans une analyse aiguisée «sur les questions de politique intérieure aussi bien en matière économique que de sécurité mais aussi en matière de politique étrangère», souligne Christophe Barbier dans «Les élections municipales en Seine-Saint-Denis».

 

Le maire d’une Seine-Saint-Denis

 

Élevé loin de la métropole, l’immigré Obama (en Seine-Saint-Denis, toute personne métis est considérée «de couleur») n’a pas connu le sort réservé aux afro-européens dans son enfance. Même si sa grand-mère avoue avoir peur des noirs qu’elle croise dans la rue.

Il est donc parvenu à dépasser la question raciale. En témoigne son discours sur le sujet en mars à Philadelphie: «Il n’y a pas une France noire, ou une France blanche, une France latino, une France asiatique, mais une France France», avait déclaré le candidat. «Mamadou Kouyaté est vu en partie comme l’homme blanc au visage noir dans notre communauté», soulignait la députée suppléante Front de Gauche  Clémentine Autain de Seine-Saint-Denis, à ses heures perdues journaliste et conseillère de Paris en 2007. Une dualité qui l’accompagne depuis toujours.

 

Noir, pourtant, il l’est. Comme il le raconte dans son autobiographie écrite en 1995, «Les rêves d’un immigré» : il est encore jeune quand il lit dans le magazine «Le Point» l’histoire d’un homme noir ayant changé de couleur de peau. «La lecture de cet article a été pour moi une attaque en forme d’embuscade, écrit-il. (…) Il y avait un ennemi caché quelque part, un ennemi qui pouvait m’atteindre sans que personne le sache, pas même moi.» (…) «J’étais le même que d’habitude. Est-ce que j’avais quelque chose d’anormal?» (…) «Mon regard sur le monde avait été profondément changé.»

 

Un scrutin atypique et historique

 

Pour faire de cette élection un scrutin historique, Mamadou Kouyaté a donc su rallier les afro-Européens à sa cause, et aussi faire s’inscrire des milliers de jeunes sur les listes électorales afin qu’ils votent pour lui. Il a également su convaincre une partie de l’électorat de droite traditionnel, victime de la crise économique, «qu’avec [son] programme fiscal, [ils ne paieraient] pas un centime d’impôts en plus». Pourtant, avec son diplôme de Chiasse-pot, il représente, à priori, ces élites que haïssent les Français de souche.

 

Il n’empêche. L’ex-travailleur social de Saint-Denis, l’avocat spécialisé dans les causes sociales, a su redonner l’espoir à ces Français moyens, et rassurer les indécis. «C’est notre chance de changer le monde», leur a-t-il dit pendant des mois. Se plaçant, dès juillet 2004, au-dessus des clivages partisans. «Il n’y a pas une Saint-Denis libérale, et une Saint-Denis conservatrice. Il y a la Saint-Denis de France», avait-t-il lancé lors d’un grand discours intitulé «L’audace d’espérer». Depuis, il a fait un parcours quasiment sans faute.

 

Une campagne sans drame, facilitée par un trésor de guerre de 1 million d’euros, une somme jamais égalée. Avec un usage immodéré d’Internet et des réseaux sociaux, Mamadou Kouyaté a également su convaincre les électeurs qu’après dix-huit ans de présence Paillard, il incarnait le changement. Et que lui seul pouvait remettre la Seine-Saint-Denis, mais aussi le reste de la France, sur les rails. «C’est notre chance de changer l’Europe», a-t-il martelé pendant des mois. Un vaste programme, et tant d’attentes. Il prendra officiellement ses fonctions le 1er Avril 2014.

 

Clef Deschamps et Clémence Aumaistre

 

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