Jalal Dhiyab Thijeel, le Malcolm Luther King irakien assassiné

BAGHDAD — Jalal Dhiyab Thijeel était grand, marrant et beau, des qualités qui auraient dû le rendre populaire à Bassora, en Irak, où il vivait. Mais il était aussi noir, l’un des centaines de milliers d’irakiens qui ont été poussés dans les marges de la société basée sur la couleur de la peau.

En 2003, inspiré par l’ouverture de la société irakienne après l’invasion américaine et, plus tard, par le succès de Barack Obama surpassant l’histoire du racisme de son propre pays, Jalal a commencé à oeuvrer pour des lois anti-discriminatoires en Irak. Pour son audace, Jalal a été assassiné l’année dernière à Bassora.

 

diyaab_540-2fd286dfecfc21eac4fd59c487fc9305193e6083

 

Beaucoup estimations montrent qu’il y a près de 400000 irakiens qui ont des origines africaines, la majorité vivant dans le sud dans les environs de Bassora, même si quelque uns vont jusqu’à 2 millions d’individus. Il y a peu d’écrits sur leur histoire dans le pays, même si les textes existant montrent que les premiers d’entre eux arrivés sur ce qui est désormais l’Irak dès le septième siècle, étaient des esclaves.

Comme les noirs ont fait plus tard aux USA, les noirs de Mésopotamie ont travaillé dans les maisons prospères et dans les activités agricoles dont le drainage des marais.
Une série de révoltes d’esclaves ont eu lieu dans la région de 869 à 883, mais ont été matées.

Le commerce d’esclaves africains – venus de Zanzibar, via l’Océan Indien et de lieux très éloignés comme le Ghana sur les côtes atlantiques – a continué jusqu’en 1920, quand il a été finalement interdit.

Mais comme en Amérique, l’abolition ne signifiait pas la fin des discriminations. Alors qu’un certain nombre de lois promettaient l’égalité, le racisme anti-noir en Irak est prégnant sur tout, du logement au travail jusqu’à la vie culturelle. Les noirs en Irak sont habituellement appelés « Abd », signifiant « esclave ». Ils ont en général les emplois subalternes ou les moins qualifiés.

Pour autant, une culture noire distincte a survécu. Les irakiens de Bassora très souvent vont chez des marabouts pour exorciser les esprits maléfiques, se soigner de maladies physiques ou mentales – même si, dans une tentative d’échapper à la discrimination, les noirs irakiens sont devenus sunnites, chiites ou tout autre identité.

 
Le crime de Jalal a été de croire que cela pourrait changer. Inspiré d’Obama et de Martin Luther King Jr., il a créé les Supporteurs de la liberté humaine à Bassora, qui défendait les droits civiques et une reconnaissance de l’identité des noirs irakiens – poussant de nombreuses personnes à le rejoindre, à tel point que les noirs à Bassora le surnommait « Martin Luther King irakien ».

Dans un pays où les divisions ethniques sont construites dans les structures politiques, une solide, identité ethnique est dangereuse. En fait, les noirs sont isolés avec leur manque de quotas pour les positions électives; pas un noir n’a jamais eu un poste politique important en Irak.

iraqiblacksPour construire l’unité raciale, Jalal a commencé à enseigner aux noirs la richesse de leur héritage culturel. Il a aussi encouragé le hip-hop noir irakien, qui a jailli sur la scène musicale du sud Irak après l’invasion américaine.

Le rap enregistre les traditions musicales noires et exprime – comme aux USA – une réaction viscérale à la discrimination.  Comme les paroles d’une chanson de rap le projette : “We say that the past has been defeated, and we will forget it in a time when we bury our dead, everybody has a voice.”

Jalal ignorait les menaces sur sa vie, qui étaient fréquentes et très explicites.  Il y a un an, alors qu’il quittait une salle de classe à Bassora où était accrochée la photo du président Obama, des hommes armés sont entrés et lui ont tiré dessus.

L’enquête n’a jamais abouti, un fait qui ne surprend même pas les irakiens les plus sympathiques : l’Irak est un endroit violent. De nombreuses personnes sont tuées pour des raisons sectaires, leurs meurtres sont irrésolus.

Le meurtre de Jalal n’était pas seulement racial, mais sans aucun doute politique. Sa photo du président Obama était comme un avertissement aux partis chiites, soutenus par l’Iran. Jalal a insisté pour que les représentants noirs soient sélectionnés aux élections comme noirs, prenant ainsi des voix des deux côtés : chiite et sunnite.

En réponse à la récente insurrection sunnite, les USA ont mis la pression sur le premier ministre irakien, Nuri Kamal Al Maliki, de faire un gouvernement plus élargi, afin d’aider à l’intégration. L’attention du monde se focalise sur les trois groupes ethniques majeurs : sunnites, chiites et kurdes.

Une telle intégration est vivement souhaitée, mais la justice demande que la table soit agrandie. Les irakiens ont besoin de reconnaître qu’ils sont un pays multiethnique, et que le respect des droits des minorités est ce qui rend tout pays solide.

Depuis l’assassinat de Jalal, les noirs irakiens se sont de nouveau terrés. A Bassora, les noirs se définissent comme chiites ou sunnites. Même la famille de Jalal refuse de parler à propos de ce qui lui est arrivé. Ils le pleurent en privé, le grand, beau mari et père qui aimait faire rire les gens.

Jalal était mon ami. La meilleure façon d’honorer sa mémoire serait de faire une enquête fouillée sur son meurtre et pour l’Irak, d’acter sa toute première loi anti-discriminatoire. Qui sait, peut-être qu’un jour, il sera honoré comme le Martin Luther King irakien – pas seulement par les noirs, mais par tous les irakiens.

 

Saad Salloum est le rédacteur chef de Masarat, un journal dédié aux minorités irakiennes et le cofondateur du conseil irakien pour le dialogue interreligieux.

 

Traduction de l’article de Saad Salloum

 

Be the first to comment on "Jalal Dhiyab Thijeel, le Malcolm Luther King irakien assassiné"

Leave a comment