A bord du négrier, de Marcus Rediker

A bord du négrier est un livre très instructif sur l’esclavage et que je ne pourrais que conseiller aux lecteurs. Adossé sur une bibliographie énorme, l’historien Marcus Rediker explique toutes les étapes de ce commerce triangulaire, met en lumière des personnages centraux et les habitudes de ce milieu et décrit aussi l’émergence que la fin du commerce des hommes noirs en Occident.
A partir du bateau négrier, base de ce commerce, il nous explique la vie à bord d’un négrier avec une telle minutie que l’on peut s’y projeter et comprendre plus aisément la situation des différents protagonistes impliqués dans cette traite. Évidemment, il explique comment les esclaves étaient acheminés de l’intérieur des terres vers les côtes par des marchands noirs et vendus aux capitaines des navires ou à des intermédiaires blancs établis sur les côtes africaines. Le livre fourmille de révélations et d’enseignements.

Le fait le plus marquant pour moi a été de découvrir que les esclaves n’étaient pas au centre des revendications des abolitionnistes pour la cessation de ce commerce. En tout cas, ce n’était pas le cas en Angleterre, à Liverpool. Et à partir de l’histoire de Thomas Clarkson, pasteur sorti de Cambridge, abolitionniste anglais, Rediker nous apprend qu’en réalité, c’est la situation atroce des marins, brutalisés, affamés, battus et tués par des capitaines des navires négriers qui a été mise en avant pour alerter l’opinion publique sur l’esclavage. Et en effet, on découvre que malgré le fait que les marins deviennent des geôliers au cours du transport des esclaves vers les Amériques, ils étaient traités avec peu de considération, obligés parfois de naviguer pour des dettes qu’ils avaient contractés, spoliés de leurs gains très souvent, nourris moins bien sur le bateau car la marchandise (les esclaves) devait être dans le meilleur état possible pour être vendue. Ils passaient donc en dernier et une fois que le Passage du Milieu était bien entamé, ils devenaient des poids financiers (en général, vu leurs conditions d’alimentation et de vie, ils étaient malades, blessés, handicapés, aveugles, incapables de servir et très souvent, ce sont des esclaves qui reprenaient leur rôle afin que la traversée se déroule sans trop d’encombres) pour les capitaines qui trouvaient toutes sortes de prétextes pour se débarrasser d’eux sur les ports américains (les concessionnaires de quais), sans argent, sans famille, sans possibilité de travail.
C’est donc la situation des marins anglais qui a servi de levier pour commencer à éveiller les consciences occidentales sur la traite négrière. D’ailleurs, de nombreux témoignages de marins, ont été pris pour soutenir l’abolition; par contre, très peu de témoignages subsistent des nègres, des esclaves qui donnent leur point de vue sur ce trafic.

Il y’a une sorte d’ironie cruelle dans le fait que le mouvement abolitionniste naissant ait focalisé sa capacité d’empathie sur la figure du marin, ces derniers ayant perpétré un grand nombre des horreurs de la traite. Certes, Clarkson et les membres de la société abolitionniste de Londres rendirent également compte de la situation critique des >, mais jamais ils ne récoltèrent leurs histoires à propos du navire négrier et du Passage du Milieu, alors qu’ils auraient pu à l’époque très facilement le faire à Londres, à Liverpool ou à Bristol. L’expérience des esclaves était après tout la plus profonde des histoires d’ > (au sens littéral : une histoire du pont inférieur), et il semblerait d’ailleurs qu’Equiano était parfaitement conscient de cette ultime exclusion et de la nécéssité de faire entendre une voix spécifiquement africaine lorsqu’il publia son autobiographie qui fit école, The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavis Vassa, the Africans (1789). En mettant l’accent sur le malheur des marins, Clarkson et ses comparses abolitionnistes faisaient le pari que le gouvernement et le grand public britanniques seraient davantage sensibles à un appel fondé sur la race et sur la nation. Page 473

La dernière partie du livre traite de ce long combat mené par Clarkson et de la propagande menée grâce au Brooks,  qui restera l’image marquante de la traite atlantique; avec ses alignements très optimisés d’esclaves sur le pont inférieur du célèbre négrier. Sa conclusion met en avant la solidarité des classes inférieures exploitées dans ce commerce (les marins et les esclaves abandonnés sur les ports américains se liaient parfois d’amitié et des esclaves, parfois pris de pitié par la déchéance de leurs anciens geôliers, les nourrissaient, les hébergeaient et les enterraient)

Leur apparence était cauchemardesque. Celui-ci présentait des contusions, des vilaines taches et des gencives sanguinolentes, tous cadeaux du scorbut. Celui-là était tordu en deux par un ulcère causé par un >, un parasite qui pouvait atteindre 1.20 m de long et suppurait sous la peau des pieds et du bas des jambes. Certains étaient régulièrement gagnés par des accès de sueur et de tremblements causés par la malaria.D’autres avaient des membres gonflés d’une manière grotesque, et les doigts de pieds nécrosés, pourris. D’autres encore étaient devenus aveugles, victimes d’un parasite (l’Onchoerca volvulus) qui circulait à cause des mouches des fleuves au cours rapide d’Afrique de l’Ouest. D’autres enfin avaient l’air d’avoir été affamés et battus, sans doute un dernier souvenir du capitaine. Ils >, et, en effet, nombre d’entre eux étaient aux portes de la mort. Les moins handicapés > Un capitaine qui avait déjà énormément voyagé vit en eux >. Ces marins >, bons à jeter pour le commerce des esclaves, dépendaient pour leur survie de la charité. Leurs > en meilleure forme leur apportaient de la nourriture et tâchaient de prendre soin d’eux, mais ils n’étaient pas bien riches non plus. Ces marins recevaient également de l’aide d’une autre source, pour le moins inattendue. Un officier de la Royal Navy, un certain  Thompson, a écrit que, si certains de ces pathétiques marins mouraient, d’autres >. D’autres observateurs, dans d’autres ports, ont remarqué le même phénomène. > Henry Ellison a fait remarquer que les > avaient bien du mal à trouver un endroit où rester au sec, >. Ces Noirs qui emmenaient les marins malades dans leur hutte savaient parfaitement à qui ils avaient affaire, car ils reconnaissaient la spécificité des maladies ouest-africaines, et savaient d’ailleurs parfois comment les soigner. Il est même probable que certains de ces Noirs connaissaient personnellement leur hôte. Page 512

– et l’impunité des classes supérieures qui se sont enrichis grâce à ce commerce (cas cité est celui de D’Wolf, marchand d’esclaves et capitaine qui a été poursuivi par la justice de sa région du Rhode Island et qui, par des subterfuges et la complicité des autorités, a pu se soustraire de la justice et être finalement innocenté du crime d’une femme esclave qu’il avait noyé parce qu’elle était atteinte de la variole.). James D’Wolf a fini sénateur de Rhode Island et était considéré à son époque comme l’un des hommes les plus des USA; et l’homme le plus riche de l’État de Rhode Island.

Marcus Rediker prône une réparation. « Il ne peut y avoir de réconciliation sans justice ».

Sur ce point, nous divergerons car je n’attends rien des descendants de ces gens. Cet argent, ces réparations sont pour moi, une ultime insulte faite à ces esclaves. Que les héritiers de la famille D’Wolf, des assureurs et autres protagonistes directs ou indirects de cette traite négrière se rassurent.

 

A bord du négrier, Une histoire atlantique de la traite, de Marcus Rediker

 

 

 

Osez le bon sens !

YDM

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