Les bienfaits de la colonisation

Article datant de 17.2.2006 et publié sur www.exergue.com par Jacques Bolo

 

Soyons positif ?

Le prétendu rôle positif de la colonisation relève simplement de la pensée confuse. On peut considérer avec indulgence le fait que pour certains, la colonisation corresponde d’abord à leur jeunesse et aux bons souvenirs qui s’y rattachent. Pour les colons, elle correspond à un vrai dépaysement, une aventure, qui peut indéniablement présenter un côté positif dans une vie personnelle. La promotion sociale qui accompagne le départ aux colonies (dont il reste encore des avantages pour les fonctionnaires dans les DOM-TOM actuels), ajoutée au sentiment de supériorité envers les indigènes, peut aussi procurer une certaine nostalgie. D’autant que la période pouvait être plus tranquille (spécialement à l’abri de la guerre mondiale loin de la métropole) avant les inquiétudes actuelles sur la mondialisation (dont la colonisation constituait pourtant la forme d’alors). C’était avant la télé, tout allait moins vite. Bref, c’était le bon temps… pour les colons.

Sur le fond, comme je l’ai déjà signalé (voir Les mots ne sont pas si importants), les apports du progrès venant d’Occident en général et de France en particulier ne sont pas des apports de la colonisation mais de la diffusion normale des sciences, des techniques ou des idées. Le Zambèze n’a pas à en être plus reconnaissant que la Corrèze. La reconnaissance ou les résistances qui s’exprimaient et qui s’expriment encore sont les mêmes que celles qui peuvent s’exprimer quand on construit un viaduc, comme celui de Millau par exemple. Les bienfaits en sont ceux de la technique, pas de la centralisation. Mais il faut aussi rappeler que les réalisations de l’époque coloniale s’accompagnaient souvent de travail forcé, qui se mesurait par le nombre de morts au kilomètre. Les rancoeurs à ce propos auraient été les mêmes en Corrèze.

De plus, ces réalisations économiques n’étaient pas des cadeaux sans contreparties. Les questions toujours contemporaines de termes de l’échange ou de commerce équitable ridiculisent cette notion de bilan positif déplacée ignoblement du plan comptable au plan moral. Le bilan économique réel, négatif (pour la métropole), dont parle Jacques Marseille, inclut simplement les coûts de la colonisation elle-même. Or, la ligne des recettes se payait bel et bien en matières premières sous payées aux populations indigènes (éventuellement surpayées aux colons, d’où le surcoût). Quel serait le bilan des équipements destinés aux provinces françaises ? La méconnaissance des réalités comptables renvoie au niveau déplorable de la formation économique du public en France (cette question est souvent vécue comme une colonisation libérale américaine).

Comparatisme

On connaît la célèbre citation qui déclare que « le nazisme avait discrédité l’antisémitisme ». Le moins qu’on puisse dire est que l’antiracisme en est une victime collatérale, puisque après le génocide des juifs par les nazis, plus rien ne semble si important. Au point qu’Alain Finkielkraut poussera le bouchon jusqu’à déclarer que « l’antiracisme sera au XXIe siècle ce qu’a été le communisme au XXe » !

Pour ceux qui contesteraient cette réalité de modèle à l’antisémitisme comme parangon du racisme, on peut évoquer l’anecdote grotesque qui eut lieu en janvier 2006. La nomination d’Arno Klarsfeld par Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur et de tout le reste d’ailleurs, comme président d’une commission pour traiter de la question du rôle positif de la colonisation. Nomination caricaturale dans la mesure où les Klarsfeld sont évidement d’abord un symbole de la lutte contre l’antisémitisme. Cette commission a tourné en eau de boudin, puisque l’article de loi a finalement été révisé par un tour de passe-passe. Mais cette nomination était particulièrement mal venue puisque, pris sur le tard d’une subite crise de conscience communautariste (malgré son âge et sans qu’il y soit obligé), Arno Klarsfeld venait d’effectuer un service militaire en Israël comme garde frontière dans les territoires occupés.

Malgré sa réponse aux critiques, si Arno Klarsfeld ne voit pas en quoi cela peut apparaître choquant, on se demande si on doit prendre au sérieux ses argumentations. Voudrait-il dire qu’il est capable, comme quiconque d’ailleurs, d’une certaine neutralité ? Dans ce cas, il ne faudrait pas qu’il commence par crier sur tous les toits, à chacune de ses nombreuses interventions médiatiques, que la colonisation a évidemment un rôle positif et un rôle négatif, dans la mesure où c’est ce que la commission qu’il préside est censée établir. On aurait pu à la rigueur lui accorder le bénéfice de sa mission au titre de candide. Mais s’il considère un procès comme déjà jugé avant d’être commencé, on se met à douter au moins autant de sa compétence d’avocat que de celle sur la question coloniale.

Fin de l’histoire et des historiens

A propos de cette même affaire du rôle positif de la colonisation, les historiens ont rédigé une pétition, en décembre 2005, contre toutes les lois mémorielles, au nom de la libre recherche. Bizarrement, certains de ces historiens ont regretté qu’on ne commémore pas officiellement le centenaire d’Austerlitz (car cela impactait sans doute négativement les ventes de leurs ouvrages de circonstance). Les historiens se sont aussi portés à la défense d’un collègue, Olivier Pétré-Grenouilleau, attaqué en justice par une association de la communauté noire à propos de son livre, salué comme une synthèse sur l’esclavage par un Prix du Sénat. Le reproche portait sur le fait qu’au cours d’une interview promotionnelle pour son livre à la radio, il avait minimisé l’esclavage des Noirs par comparaison au génocide des juifs par les nazis, sur le mode : « le but était l’exploitation, pas l’extermination » (notons que cette phrase correspond à la position des négationnistes d’extrême gauche sur le nazisme, voir mon article Unicité et négationnisme).

Cette stratégie judiciaire un peu tatillonne des associations noires s’inspire précisément un peu trop du modèle des associations juives (voir l’Affaire Morin). C’est moins le livre lui-même ou ses propos radiophoniques qui devrait être en cause, que ce Prix du Sénat. En effet, il peut être interprété comme une nouvelle contribution à la minimisation des méfaits de la colonisation. L’argument du livre primé étant le fait qu’il existe d’autres traites (arabes et autochtones) que le commerce triangulaire européen. On imagine la jubilation infantile (ou sénile) des sénateurs : vous aussi (les Noirs, les Arabes), vous étiez esclavagistes, alors fermez-la !

Il est vrai que l’esclavage a été une des choses les mieux partagées au cours de l’histoire. Le servage, qui ne valait guère mieux, a été aboli en Russie tsariste en 1861 (en Autriche : 1848, Suisse : 1798, France : 1789, Savoie : 1771, et au Tibet, seulement en 1959 !). Quant à la connaissance de l’existence d’une traite africaine, ou la complicité des Africains dans la traite européenne, signalons qu’en 1957, L’esclave libre (Band of Angels), film de Raoul Walsh, (avec Clark Gable, Yvonne de Carlo, Sidney Poitier), histoire d’un négrier repenti, mentionnait déjà explicitement le rôle des chefs autochtones dans le commerce triangulaire. La valeur du livre d’Olivier Pétré-Grenouilleau s’en trouve du coup réduite à la possibilité d’une bonne synthèse des travaux précédents (outre l’exercice académique du travail sur archives), et ne constitue certainement pas à une recherche innovante (autant traduire les anciens livres américains sur le sujet).

Comment donc interpréter le prix du Sénat autrement que comme une commémoration du rôle positif de la colonisation, qui transforme le rejet de la repentance en contentement de soi 3. Au moins, le travail de Raoul Walsh constituait bel et bien à une leçon de morale chrétienne, où le personnage noir joué par Sidney Poitier, recueilli enfant par le négrier (Clark Gable), finit par lui pardonner. À la fin du film, l’ex-négrier lui-même tire explicitement la morale de l’histoire, en définissant le pardon comme la preuve que son quasi-fils adoptif a réussi à tourner la page. Aujourd’hui, évolution hollywoodienne oblige, la leçon se réduit à « se pardonner à soi-même ».

Ce dernier point qui consiste à refuser la repentance par décret de l’Assemblée nationale, avec le concours des historiens universitaires, constitue une évolution fondamentale. Spécialement quand le discours ambiant, en ce début de XXIe siècle, se gargarise de valeurs 4, il est absolument paradoxal (sinon hérétique) d’entendre certains refuser la repentance en se revendiquant des valeurs chrétiennes. Même si on considère la tendance la plus réactionnaire du christianisme, la repentance est constitutive de cette religion. Finalement, peut-être qu’on est bel et bien sorti de la culture chrétienne, contrairement à la tentative dérisoire d’en imposer la référence dans le projet (avorté) de constitution européenne de 2005. La contradiction demeure. Les valeurs nietzschéennes (nazies ?) qui refusent la repentance ne peuvent pas se revendiquer du christianisme.

Il n’est pas question non plus de faire semblant de ne pas comprendre ce que ces discours signifient. Il s’agit de quelque chose comme : « Après les juifs et la Shoah, on ne va pas se coltiner les Noirs et l’esclavage ». Remarquons qu’on ne se prive pourtant pas de toutes les commémorations possibles, ni de ressasser à n’en plus finir le devoir de mémoire. Même notre vicomte préféré, Philippe de Villiers, qui refuse la repentance malgré ses valeurs chrétiennes, a bâti sa réputation et sa carrière sur la commémoration du massacre des Vendéens par les révolutionnaires de 1793, au point d’en faire un parc à thème ! On impose même la reconnaissance du génocide des Arméniens comme condition à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. On accuse de négationnisme qui contesterait les massacres, tendant au génocide, en Bosnie, Tchétchénie, au Rwanda, Cambodge, etc. En Amérique, on pense immédiatement à celui des indiens. Par contre, certains continuent de penser que 500 ans d’esclavage ou de colonisation ne sont pas si importants en comparaison, « puisque ce n’est pas un génocide », comme dirait Olivier Pétré-Grenouilleau 5.

Peut-être que le fait que la colonisation ait duré jusque dans les années soixante sous les hospices de la république, avec quelques massacres résiduels après la deuxième guerre mondiale titille un peu la repentance. La droite peut se sentir aussi merdeuse que la gauche pour la façon dont on a abandonné les harkis massacrés par le FLN et dont on a parqué ceux rapatriés en France. En fait, la loi sur le rôle positif de la colonisation, dont le but était un appel pré-électoral aux rapatriés d’Algérie, comprenait surtout un article punissant ceux qui exprimeraient que les harkis sont des traîtres :

Article 5 : Sont interdites : toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d’ancien membre des formations supplétives ou assimilés ; toute apologie des crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après les accords d’Evian.

Car, comme l’a dit M. François Rochebloine (député UDF de Loire) au cours de la séance du mardi 29 novembre 2005 de l’Assemblée nationale : « les réactions officielles ne sont pas toujours promptes à répondre à certains propos outrageants, notamment ceux qu’a tenus le Président algérien en 2001, des propos indignes à l’encontre de nos compatriotes harkis. »Mais la loi française ne s’appliquant plus dans les anciennes colonies devenues indépendantes, on se demande ce que signifie un tel article.

Toutes ces péripéties consacrent la fin de l’histoire comme méthode. Son seul rôle a toujours été de fournir une mythologie nationaliste, et sa seule gloire d’en dynamiter une ancienne (au bénéfice d’une nouvelle). Il faut sortir de la pensée symbolique et de ses conséquences qui interdisent les analyses exactes. Et précisément, l’échec de l’histoire se manifeste tout spécialement dans son incapacité à traiter les questions comparatives.

 

Merci Hitler ?

 

Texte de Jacques Bolo

Be the first to comment on "Les bienfaits de la colonisation"

Leave a comment