[Laurent Mucchielli] Délinquants d'en haut et délinquants d'en bas

Si l’on fait l’hypothèse qu’il y a bien un problème d’insécurité, hypothèse qui ne va d’ailleurs pas de soi pour peu que l’on prenne en considération, d’une part, les biais d’induction de déclaration liés à la mise en place de la police de proximité et, d’autre part, les effets amplificateurs dus à la construction sécuritaire de la réalité sociale par les médias, il reste à se demander où sont passées les explications sociales – et peut-être même les explications tout court ! – de la délinquance.

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Si les explications sociales de la délinquance ont à ce point disparu du débat public, c’est parce que le socialisme de gouvernement s’est chargé lui-même de les naufrager en déclarant formellement non pertinentes les analyses socioéconomiques de la violence lors d’un colloque qui devrait faire entrer Villepinte dans l’annuaire des villes-témoins de l’histoire de la gauche, pour le meilleur et pour le pire : Tours, Épinay, Valence, Rennes… Cédant à toutes les forces de l’air du temps et rejoignant la droite dans cette aberration mentale qui se refuse à considérer que comprendre et juger demeurent des opérations intellectuelles absolument hétérogènes, que rendre intelligible n’est synonyme d’absoudre que pour des esprits obtus, la social-démocratie à la française a donc pris le mors aux dents et décidé que l’insécurité était un fait social à combattre et non à comprendre. Regardés comme des manifestations aberrantes mais autosuffisantes, surtout pas symptômes d’autre chose, les actes de violence anomique sont de purs surgissements sans cause, rejetés dans la catégorie d’un mal absolument ineffable – ce n’est plus d’une police qu’ils sont justiciables mais d’un corps d’exorcistes.

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À l’encontre de ce retour constatif borné au fait brut et au fait pur, sans autre horizon que la seule extirpation puisqu’il s’agit ici de « violence », il est peut-être plus urgent que jamais de poser à nouveau la question des causes, sauf à condamner la tâche policière elle-même à une reprise sisyphienne infinie, et par là même la société à connaître des taux d’enfermement sans limite. La double conversion économique et sécuritaire de la gauche de gouvernement est certainement pour beaucoup dans les formidables censures qui ont permis d’évacuer des quelques débats résiduels sur les origines de l’insécurité toute référence aux déterminations économiques et toute mise en cause des tendances d’ensemble du néolibéralisme, puisque l’insertion dans le merveilleux mouvement de la mondialisation fait maintenant figure d’inquestionné radical. Il y a pourtant bien des raisons d’estimer que celui-ci mériterait d’être mis en examen – réciprocité élémentaire ! – à la fois par ses effets objectifs dans le tissu social mais aussi par les messages de ses discours et les comportements auxquels il encourage.

 

• Le modèle de la concurrence, violence légitime

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À supposer donc qu’on puisse diagnostiquer et documenter quelque chose comme une remontée du niveau général de la violence dans la société, il se pourrait qu’il ait à voir avec la fortune de l’idéologème de la concurrence, dont les discours du néolibéralisme font sans désemparer la promotion depuis deux décennies. Si ce rapprochement a quelque sens c’est parce que la concurrence est peut-être, juste après le sport, la métaphore la moins métaphorique de la violence.

 

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