La pensée s’assèche

Un jour, j’ai entendu une chèvre sacrée dire avec tout le panache qui caractérise ces merdivores : j’écris parce que c’est ce qui me permet de vivre. Faut croire qu’il était en très bonne santé; ses vergetures scripturales remportaient un certain succès  auprès d’un public de bleuets de champs. Putain de pensée !

Moi, j’écris pour rompre l’ennui, cracher sur la chienlit et essayer de combler le canyon creusé entre le talent et le temps. Noble tâche que j’effectue quand une fée du logis cesse d’épousseter mon vilebrequin, qu’un boulot de merde s’arrête, quand l’insomnie m’étreint ou la bêtise monte sur l’estrade et blablate avec entrain. Rien de bien glorieux, j’avoue, timidement, mais je n’ai rien trouvé de plus excitant dans cette vie, que d’exécuter le crétin. Sujet – gerbes – excréments. La haine est mon moteur. Égoïste, et comment ? Le public, je le nie, qu’il me lise ou non, mon seul plaisir demeure la guillotine. Un public aussi médiocre mérite bien la pisse dans laquelle il se vautre. Je vous le laisse bien volontiers, Nègre sans qualités, toujours habité par la lettre, le style m’habille, j’y peux rien ! Sujet – verbe – condiment. Et le verbe s’extasie. Aujourd’hui, même les femmes écrivent. Elles écrivent autant que la pensée s’assèche. Que de femmes éditées, que de femmes dans les salons et les salons du livre… Incontinences intellectuelles. Faut bien donner quelque contenu à la courtisane moderne. Philo-sottes de mes deux. Hommes de peu de qualités, femmes en quantité, littérature étripée. Si vous n’êtes pas pris de vomissements devant une telle déchéance, alors vous êtes bien de votre époque, de cette époque.

Il me semble évident que si la plupart des penseurs des siècles passés étaient vivants aujourd’hui, ils n’auraient pas l’aura et le prestige qui leur est associés. Le monde a beaucoup évolué, le public a régressé et les hommes ont démocratisé le savoir. Les grandes idées et les grandes découvertes ont été faites il y’a moins de deux siècles. La planète a plusieurs millions d’années. Ces penseurs avaient du mérite dans un environnement quasi désertique de professer et avancer des idées et concepts qui régissent encore notre société. Maintenant, l’heure est venue de passer à autre chose et surtout à rechercher de nouveaux penseurs capables de tracer la voie. Et là, le combat n’est pas gagné. Avant la marge de progression était importante et la qualité d’aristocrates et de bourgeois de ces philosophes, scientifiques leur a permis de passer du temps à penser, à ressasser le monde. C’est une donnée quasi scientifique que la science ne peut éclore que de milieux aisés. Le malheur présent est, comme la théorie du rendement optimal, les êtres humains atteignent le pic de leurs connaissances et il devient de plus en plus compliqué pour nous de trouver les clés de notre future évolution. Le progrès coûte plus cher et requiert des chercheurs vraiment chevronnés. Des scientifiques, nous en avons. Des chercheurs non. Des personnes capables de penser notre future société. Où sont les Kant, Rousseau, Nietzsche, Aristote, Hegel, Marx, d’aujourd’hui ? Je crains qu’on n’en retrouve plus de sitôt car la barre a été fixée trop haut pour la médiocrité ambiante. Même ces glorieux anciens ne seraient que d’excellents scientifiques dans leurs domaines. Comme nos penseurs actuels. Qu’est devenue la pensée en France ? BHL, Finkielkraut, Zemmour.

Que des humbles neuneus comme moi se mettent à écrire pour combler un manque d’écrivains de talent, de pensée originale n’est qu’une conséquence matérielle de cette carence. La France est peuplée de sophistes, de commentateurs, de pédants. Des journalistes. Aucune créativité. Pour se rassurer, certains comme Zemmour récitent les vieux classiques. A défaut de futur, on se complaint dans le passé car le niveau intellectuel pour émerveiller les hommes, plus connaisseurs grâce à la démocratisation de l’école et à Internet, est trop élevé. J’ai pitié pour la pensée française. On a sorti l’anthropologue du freezer pour le célébrer comme le dernier des mohicans. Arrogance est certes un individu curieux ayant réussi à commenter la vie de peuplades éloignées. C’est un grand journaliste. Sans plus. Pour la pensée, on repassera.

Citez un seul nom et vous verrez que ce sont d’excellents commentateurs. En France, l’écriture s’est asséchée et les sophistes tiennent le haut du pavé. J’attendrai la prochaine génération car j’ai la certitude que la démographie planétaire et la raréfaction du pétrole vont nous pousser à créer une nouvelle civilisation. On le sait tous mais personne aujourd’hui n’est capable de nous faire des propositions d’ébauches d’une vie sur terre dans 15 ans. Ils ont tous des titres ronflants et aucune vision. J’aimerais que ces penseurs s’attèlent à me parler de demain et non à me faire des reportages, plus ou moins réussi, sur mon quotidien. Philosophes de mes deux.

Non seulement je tire sur l’ambulance mais en plus, je la rattrape je dégomme l’ambulancier et je la brûle. Voilà ma philosophie. Simple, aigre et sans armures,

Osez le bon sens !

YDM

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