Dictateur mais lucide : L’Afrique bridée de Damien Millet

Par Damien Millet, L’Afrique sans dette.

Revenons sur le discours de Mobutu du 4 octobre 1973 devant l’assemblée générale de l’ONU. Sans oublier sa soumission au bloc occidental ni la dictature qu’il imposa à son peuple pendant plus de trente ans, nous pouvons nous attarder sur certains extraits révélateurs de ce que subit l’Afrique pendant cette décennie :

Si on examine bien, on constate que paradoxalement, l’assistance profite avant tout au pays donateur. En effet, quelles sont les formes d’assistance ?

On peut en distinguer notamment trois ;

les bourses d’études pour les étudiants

l’assistance en personnel

l’assistance financière

Quand on accorde une bourse d’études à jeune étudiant d’un pays pauvre, cette bourse est dépensée totalement par l’étudiant dans le pays riche. Il arrive même que la bourse ne suffise pas et que le pays pauvre consente à donner un supplément, c’est-à-dire, en fait, un transfert de capital du pays pauvre vers le pays riche.

Il en est de même de ceux qu’on appelle les coopérants techniques dont les salaires sont dépensés dans les pays d’où ils sont ressortissants. Au Zaïre, par exemple, nous les logeons, nous les véhiculons, nous leur payons, pour leurs vacances annuelles, le ticket aller et retour. Quant à leurs salaires, la moitié est transférée mensuellement à leur compte dans les pays d’origine.

On parle aussi très souvent d’assistance financière. Mais, si on y regarde de très près, on constate que les crédits des pays donateurs sont, d’une part grevés de conditions de fourniture d’équipement et d’autre part, assortis de taux d’intérêts exorbitants et de délais de remboursement très courts. De plus, ils restent dans les coffres des banques des pays riches, et le pays bénéficiaire n’en reçoit pas un seul centime à dépenser localement.

Il se passe donc comme si l’on finançait un pays pauvre sans que celui-ci ne bénéficie de financement. On dirait, pour utiliser le langage des financiers, que nous assistons là à une espèce d’autofinancement des pays riches eux-mêmes.

C’est pourquoi, si réellement les pays riches veulent aider les pays pauvres, ils doivent les mettre à l’abri de crédits fournisseurs, de bureaux d’études et d’experts internationaux.

Je m’explique : pour un oui, pour un non, des commerçants sans scrupule de l’Occident nous proposent des crédits fournisseurs tous azimuts. Ils peuvent vous vendre du papier, des cigarettes, de l’eau et même du vent avec soi-disant des facilités de payement, sans tenir compte de l’aggravation de votre endettement extérieur.

Les pays riches ne devraient pas seulement se préoccuper d’aider leurs industries à exporter à n’importe quelles conditions, mais ils doivent également tenir compte de la situation financière des pays importateurs.

Le caoutchouc que nous nous produisons est moins cher que ce qu’il coûtait il y a 20 ans, tandis que les pneus que nous achetons n’ont jamais cessé d’augmenter de prix.

C’est ainsi qu’à titre d’exemple, les paysans des montagnes du Kivu, qui cultivent le thé, sont toujours pieds nus, alors que les responsables de « Lipton » qui commercialisent le thé zaïrois, se prélassent dans les meilleurs palaces du monde.

Je pense que cette injustice vient du fait que les pays riches sont en même temps juges et parties. Car, ce sont eux, et eux seuls, qui fixent les prix de nos matières premières et les prix de leurs produits finis.

Cette situation est souvent aggravée par la politique des grandes sociétés multinationales qui , quand elles investissent dans un pays donné, ne s’intéressent pas à celui-ci, mais uniquement à leur profit.

Il est donc tout à fait erroné de croire que l’aide des pays riches consiste en ce que les pauvres des pays riches enrichissent les riches des pays pauvres. Je crois que vous concluez avec moi, d’après ce que je viens de démontrer, que ce sont les pauvres des pays pauvres qui enrichissent les riches des pays riches. >>

 

Publié dans : Université nationale du Zaïre, Revue africaine de développement, Presses universitaires du Zaïre, volume 1

 

Notre exemplaire est disponible dans la chaîne de lecture.

 

Présentation de l’éditeur :

L’Afrique sans dette, c’est d’abord une cinglante ironie, car actuellement, l’Afrique s’endette. Contrairement aux annonces dans les médias, la dette de l’Afrique continue de s’accroître. On entend parler d’allégements de dette, d’aide au développement, mais une fois tous ces termes analysés, les réalités sont cruelles : le continent le plus pauvre et le plus démuni en termes de développement humain continue de transférer des sommes considérables à ses riches créanciers, les classes dirigeantes africaines prélevant leur commission au passage. Une grande partie de la population s’enfonce dans la misère et la spirale de la dette poursuit son œuvre tragique. L’Afrique sans dette, c’est surtout une exigence. Après des siècles de pillage, d’esclavage, de colonisation, l’instauration d’un modèle économique néolibéral a brisé l’Afrique par l’intermédiaire du mécanisme de la dette. Aujourd’hui, selon l’auteur, le combat central est l’exigence de l’annulation totale de la dette extérieure publique de l’Afrique, premier pas vers celle de tous les pays du Tiers Monde, dans le but de libérer enfin leur développement. L’Afrique sans dette, c’est aussi une interrogation. La dette de l’Afrique est-elle légitime ? Pour des raisons tout à la fois morales, économiques, politiques, juridiques, écologiques et historiques, l’auteur affirme que la dette actuelle doit être répudiée. Il considère que les peuples africains sont en droit d’exiger de leurs riches créanciers, qu’ils soient du Nord ou du Sud, le paiement d’une dette au titre de réparations et l’instauration d’un autre modèle économique basé sur la satisfaction des besoins humains fondamentaux. A travers 9 chapitres très documentés, ce livre analyse l’histoire politico-économique de l’Afrique, la domination, les mutilations et les trahisons subies par le continent noir. Il est avant tout un plaidoyer pour une rupture avec la logique imposée par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, et, à travers eux, par les puissants promoteurs de la mondialisation néolibérale.

L’Afrique sans dette

Damien Millet

Éd. CADTM/Syllepse, 2005, 218 p., 14 €

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