Comment étaient recrutés les marins anglais lors de la traite négrière ? – A bord du négrier, de Marcus Rediker

Pour Stanfield, le drame du voyage en Guinée ne commence pas le long des côtes africaines, ni même sur le navire négrier, mais bien plutôt dans le cadre confortable d’un café, par des échanges commerciaux. En un mot, le drame s’ouvre sur les marchands d’esclaves et leur argent – la mutualisation du capital en vue d’acheter un navire et une cargaison, et d’engager un capitaine et un équipage. Pour Stanfield, c’est là que se forgeait le premier maillon d’une chaîne qui reliait Liverpool à l’Afrique de l’Ouest et aux Antilles – une métaphore qui court dans tous ses écrits.

 

Quand l’association des marchands s’renforce enfin,

Qu’le Conseil de minuit nourrit leurs noirs desseins,

Résonne l’premier maillon d’cett’ formidable chaîne

A travers des royaumes dont la douleur est reine

 

Il attribue ce désir violent et impérieux des conspirateurs à la > ainsi qu’à quelques autres causes, comme le caprice, le vice, l’intempérance, la folie et l’orgueil. Dès le début, il insiste sur la relation de cause à effet qu’entretiennent l’avidité de quelques hommes dans une ville portuaire et la misère sous toutes ses formes subie par un grand nombre d’autres dans la zone atlantique.

negrier

Stanfield a vu comment le capital des marchands mettait en mouvement des forces de travail de toutes sortes, comment les travailleurs du front de mer de Liverpool forgeaient les premiers maillons de cette longue chaîne : > Pendant que le navire était réparé, armé, et que la cargaison était rassemblée au milieu du tumulte, les marchands, le capitaine et les officiers se mettaient en quête d’un groupe de > pour conduire le navire en Afrique. >

 

James Stanfield connaissait bien les marins. Il avait travaillé et vécu avec eux pendant des années, si bien qu’il était familier de leur manière de penser et d’agir, de leurs idées et de leurs coutumes, de leurs caractéristiques, qu’elles soient bonnes, mauvaises, ou tout simplement étranges. Il savait également que beaucoup d’entre eux étaient > et souvent >, et qu’ils avaient tendance à passer leur temps à danser, boire et faire la bringue sur le front de mer, surtout quand ils venaient de rentrer d’un long voyage et qu’ils rompaient avec ses nombreuses privations. Avec quelques pièces dans la poche, ils étaient les > – souvent moins. Ils s’entassaient dans les tavernes du front de mer et, au milieu de l’allégresse générale, dépensaient sans compter – et souvent sans réfléchir – leurs salaires durement gagnés. Ils exprimaient ainsi >. Stanfield savait également que les marchands d’esclaves et les capitaines de navire négrier considéraient d’un bon œil ces scènes de débauche, car ils y voyaient la meilleure chance de faire monter les marins à bord de leurs navires. Il jette ainsi une lumière crue sur les méthodes des employeurs et le fonctionnement du marché du travail du commerce d’esclaves sur le front de mer. Il nous guide à la lueur blafarde d’une lanterne depuis les tavernes minables du port jusqu’à la prison de la ville, et enfin, jusqu’à bord des guineamen mouillant au large.

A chaque fois qu’un négrier était armé, nous explique Stanfield, les marchands, son capitaine, les commis et des > peu scrupuleux (appelés >) arpentaient >, alors qu’il tentait de descendre une seule et unique rue. Une fois à l’intérieur, le spectacle commençait, fait de serments d’amitié, de promesses de sympathie et, surtout, d’innombrables tournées de chopes de rhum ou de gin. Le but était que le marin soit ivre ou s’endette, les deux étant, comme nous allons le voir, des moyens essentiels à la constitution d’un équipage de navire négrier.

Bien des marins ivres – et peut-être Stanfield lui-même – ont signé un contratqu’on appelait un > avec un marchand d’esclaves ou un capitaine de navire négrier après une longue nuit de cuite et de débauche. La plupart de ces marins étaient jeunes et inexpérimentés, mais certains étaient des vieux de la vieille qui auraient normalement dû savoir de quoi il retournait. stanfield déclare : > Mais, une fois ivres, >. C’était donc un jeu bien dangereux. Et les marins qui jouaient et perdaient trop souvent le payaient généralement de leur vie.

Au fur et à mesure que les festivités se poursuivaient, bien souvent jusqu’au petit matin, le propriétaire des lieux traçait des traits à la craie sur le mur pour représenter la dette toujours plus grosse du marin : >, comme on disait à Liverpool. Plus les marins devenaient ivres et plus la comptabilité se faisait créative, et, bientôt, dettes réelles et imaginaires prenaient des proportions grotesques. Ceux qui avaient refusé de signer le contrat faisaient alors face à un nouveau problème. Le propriétaire proposait un marché au marin soûl et endetté. S’il acceptait d’embarquer sur un négrier, il pourrait utiliser son avance pour éponger ses dettes. Si le marin refusait le marché, le propriétaire lui expliquait qu’il allait appeler un agent de police pour le faire envoyer en prison. Stanfield a décrit la scène en vers. Les marchands, écrit-il :

 

Avec des arts trompeurs, soumettent les téméraires,

Puis tendent leurs filets et leurs victimes enserrent,

Pour finalement les accuser de dettes imaginaires,

Et les mettre face au donjon ou face à la mer.

 

Certains marins acceptaient le marché et montaient à bord. D’autres choisissaient la prison. Mais une fois arrivés là-bas, ils découvraient que, >. Le marin était alors :

 

Coupé de tout confort et souffrant mille tourments

Sans espoir de justice ou du moindre soulagement –

La route lugubre n’offrant qu’un’seule issue,

Seul moyen d’échapper à la cage des vaincus.

Le sombre génie de l’esclavage entrouvre la porte de fer

Et, en un sourire atroce, indique le navire et la mer.

 

Quand le malheureux franchissait le portail de la prison, il ressentait >. Le rusé marchand le tenait dans sa main.

negrierIl existait plusieurs manières d’attirer les marins à bord des navires. Certains, ivres et endettés, se voyaient contraints d’échanger un donjon terrien contre un donjon flottant. Parmi eux, on comptait aussi bien les > et les > que ceux qui avaient cru pouvoir se montrer plus malins que le >, et qui n’avaient finalement réussi qu’à s’embobiner eux-mêmes. Parfois, ils cherchaient à échapper à de > ou fuyaient une >; souvent, ils étaient en bisbille avec la justice. D’autres avaient souffert des infortunes de quelque nature, et >. Certains avaient perdu un amour, ou >. Dans son poème, Stanfield illustre ce dernier cas avec l’exemple d’un ami qu’il appelle Russel, un >. Pourtant, à bord du navire négrier, >. C’est seulement en faisant voile vers les tropiques qu’il . Les marins du commerce des esclaves étaient généralement semblables aux autres quoique peut-être un peu plus naïfs, pauvres ou désespérés, selon les cas. Stanfield laisse un indice au sujet de ses propres motivations dans le poème > (en réalité, en 1775). Il y parle de son > et de son >, de la manières dont il >. Tout ceci évoque clairement un ocmportement qui aurait pu le faire tomber dans le piège d’un >.  Mais, en même temps, il suggère qu’il était guidé par un intérêt positif pour l’Afrique : ses , la >, ou encore simplement son goût pour l’ > et de > dans ces >.

 

Pages 206 -208

 

A bord du négrier, une histoire atlantique de la traite

Marcus Rediker

 

 

 

 

 

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