Une seule solution démocratique : l'école commune ? 1/5

L’école commune : Propositions pour une refondation du système éducatif est la dernière production intellectuelle du GRDS, un groupe d’intellectuels et de syndicalistes, qui phosphorent sur l’éducation et notamment sur la démocratisation scolaire.

 »L’école commune » est l’alternative suggérée par ce  »think tank » pour remplacer  »l’école unique », en cours depuis 59.

 

 

 

 

Pourquoi l’école commune ?

Ces grands chercheurs; Alain Becker, dirigeant syndical SNEP-FSU, Jérôme Deauvieau, maître de conférences en sociologie, Tristan Poullaouec, maître de conférences en sociologie, Janine Reichstadt, professeur honoraire, Jean-Pierre Terrail, professeur honoraire, José Tovar, professeur et ex-syndicaliste, sont arrivés à la conclusion que  »l’école unique » ne mènera pas à la démocratisation scolaire car elle génère des inégalités scolaires.

 

L’accès aux savoirs de la culture écrite, c’est-à-dire aux savoirs sociaux les plus élaborés, est aujourd’hui très inégalement distribué. Les inégalités scolaires sont :

– importantes : 50 points d’écart séparent les chances d’un enfant de cadre et celles d’un enfant d’ouvrier d’obtenir un bac général (72% vs 22%)

– anciennes : elles n’ont pas varié depuis les années 1960 ; leur existence n’est pas la conséquence de l’offensive néo-libérale, elle est consubstantielle au fonctionnement ordinaire de l’école « républicaine »

– socialement problématiques, pour quatre raisons : parce que la demande de scolarisation dans l’enseignement supérieur est aujourd’hui massivement majoritaire dans tous les milieux sociaux [2] ; parce que cette attente sociale massive donne toute sa force à la mission républicaine de l’école : assurer une entrée réussie de tous les enfants dans la culture écrite ; parce que cette attente interpelle particulièrement les enseignants, qui ne peuvent trouver leur bonheur professionnel que dans la réussite des élèves ; en raison enfin du besoin d’un très grand nombre de salariés dotés d’une qualification élevée leur permettant de concevoir et assurer de nouveaux modes de développement économique et l’essor d’une production économe de produits et services de haute qualité.

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Tout se gâte à la phrase suivante

Arrêtons-nous un instant sur ce dernier point, pour prévenir l’objection d’une contradiction possible entre la démocratisation de l’école et les besoins de l’économie. La nécessité d’un nouveau bond en avant de la formation des jeunes est reconnue par le patronat, comme en témoigne l’objectif désigné par la loi Fillon de 2005 d’une sortie de formation initiale sur deux après la licence. Mais cet objectif ne saurait être considéré comme un indicateur indépassable des besoins réels, sachant la propension du capital à limiter autant que faire se peut l’essor des capacités humaines, même dans le contexte de ce que d’aucuns nomment le « capitalisme cognitif ». Le malthusianisme patronal préfère un salarié juste formé pour son poste de travail et précaire plutôt qu’un salarié mieux formé et stable, et cherche à restreindre le cercle de ceux qui maîtrisent les technologies les plus avancées pour mieux les contrôler et les soumettre. Le rôle de l’institution scolaire est-il d’alimenter cette logique, et de permettre au patronat d’économiser les investissements nécessaires à la suppression des postes de travail les moins qualifiés, en lui livrant en abondance une main-d’œuvre peu formée et bon marché ? Si l’on admet que ce n’est pas le cas, et que la responsabilité de l’école est bien plutôt de rendre possible, grâce à l’action éducative, la maîtrise démocratique de l’organisation du travail, des échanges mondiaux, de connaissances et de forces productives qui peuvent aujourd’hui améliorer considérablement le sort de l’humanité mais tout aussi bien précipiter sa perte, alors une réduction urgente et massive des inégalités d’accès aux savoirs élaborés paraît complètement justifiée.

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Le couplet sur le malthusianisme patronal est assez bien emmené mais il souffre de plusieurs amendements importants :

– Le malthusianisme patronal ne se trouve pas dans la tête des français pour leur interdire de mieux se former et d’être payés en conséquence. Au contraire, de nombreux français se sont engagés dans des filières sans avenir, les masters en sociologie, philosophie et autres littératures gréco-romaines sont remplis de têtes hyper-bien faites mais difficilement employables. Le fameux malthusianisme n’est pas chargé de l’orientation des étudiants dans les universités.

– Le malthusianisme patronal préfère s’appuyer sur une main d’œuvre immigrée, moins bien qualifiée et bon marché.

– Le malthusianisme patronal n’en a rien à cirer d’avoir des français sur-diplômés et sur-qualifiés car il se sert directement à l’étranger, là où il en profite aussi pour délocaliser ses productions et ses entreprises pour des raisons évidentes de coûts.

– Le malthusianisme patronal s’appuie davantage sur la porosité des frontières, la mondialisation pour imposer ses diktats, ses salaires, que l’on soit formé pour une seule tâche ou dix-mille. La loi de l’offre et de la demande fonctionne parfaitement dans ce système car les politiques ont cessé de jouer leur rôle de régulation.

La tirade sur la responsabilité de l’école ressemble davantage à un  »bullshit » consensuel voire incompréhensible.  »La maîtrise démocratique de l’organisation du travail ? Des échanges mondiaux, de connaissances… sort de l’humanité… » Bref, si c’est dit par des spécialistes, c’est sans doute vrai.

L’institution scolaire a aussi le devoir de former des individus capables de satisfaire aux exigences économiques de la société. N’en déplaise aux  »gens bien ».

 

Faire des études pour le plaisir d’en faire et de se cultiver, c’est bien ! Trouver un travail utile pour soi et pour la société, pour le financement des  »études-plaisir » et des  »études-culture », c’est mieux!

Le drame de  »l’école unique » est précisément de n’avoir pas pris en considération, à temps, le fait que l’école soit inscrit dans un projet social et économique. Ses initiateurs n’ont voulu voir dans l’école, qu’un havre d’enrichissement intellectuel, déconnecté des réalités matérielles.

Et tous ceux qui ont cru que les pays émergents allaient simplement servir de sites de production et abandonner le privilège de la réflexion, de la création, de la conception des produits aux pays développés, se sont bien plantés. Mais, cela semble davantage être de la responsabilité directe des hommes politiques que de l’école.

 »L’école unique » a sans doute sa part de responsabilités dans ce désastre mais une part infime.

La nécessaire démocratisation scolaire ?

Si nous avons bien compris, la démocratisation scolaire serait une massification plus « équitable » de l’accès à l’éducation et à l’enseignement supérieur, sans aucune forte influence de l’origine sociale. C’est un projet formidable de trouver un système où tout un chacun puisse avoir la même égalité de chances de réussite scolaire.

Pourquoi l’école ne parvient-elle pas à accueillir efficacement les enfants issus des classes populaires en limitant, sinon en compensant complètement, l’effet des inégalités culturelles sur les inégalités scolaires ?

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Dans cette partie, ces experts posent des constats assez pertinents basés sur des études et sur des observations évidentes de l’échec du système actuel.

La section « L’inégale répartition des ressources pédagogiques » est incontestable. Les ratés du système unique avec cette propension  »à privilégier les privilégiés » et à créer des filières d’élites sont mis en avant, expliqués clairement et il faut reconnaître simplement que le constat général posé est juste.

L’école unique a été mise en place entre le décret Berthoin (1959) et l’institution du collège unique (Haby, 1975). Elle unifie le primaire et le secondaire, assurant l’entrée de tous les élèves dans le secondaire. Ce faisant, elle a internalisé la sélection sociale. Car si l’école est désormais unique, on peut y accomplir des parcours bien différents. Ses fondateurs, notamment le ministre Berthoin, et De Gaulle lui-même, l’ont très explicitement conçue comme devant organiser des flux différenciés gérés par un dispositif de notation, de classement, et d’orientation des élèves. »  »La concurrence de ces derniers pour la réalisation des meilleurs parcours et l’obtention des meilleures places (sections, filières, établissements supérieurs) est devenue d’autant plus rude que les parcours scolaires ont préfiguré de plus en plus précisément, au long du dernier demi siècle, les parcours professionnels.

Le résultat des courses était joué à l’avance, les candidats dotés des meilleures ressources étant voués dès le départ à l’accès aux meilleures places. En ouvrant à tous l’accès au secondaire l’école unique a certes permis une amélioration massive de la formation des jeunes générations, accompagnée d’une réelle démocratisation de l’accès aux savoirs élaborés de la culture écrite. Elle a multiplié les chances de réussite scolaire offertes aux enfants des classes populaires, et favorisé la montée générale d’une demande de scolarisation prolongée. Il reste qu’un regard rétrospectif sur un demi siècle de flux scolaires est sans appel : pour l’essentiel, l’appartenance sociale du public de chaque filière est à la mesure aujourd’hui encore de la position de cette filière dans la hiérarchie scolaire.

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A ces observations, le  »GRDS » apporte une solution :  »l’école commune », basée sur 2 grands principes :

– Suppression de la concurrence par la suppression des notes et de tout autre principe d’étalonnage des élèves.

– Instauration d’un tronc commun

Suppression de la concurrence par la suppression des notes

 La suppression de la concurrence scolaire impliquerait un ample bouleversement culturel de notre rapport à l’école, mais elle n’a elle-même besoin que d’une mesure précise et circonscrite : la suppression de la notation et de toute forme substitutive d’étalonnage de la valeur scolaire des élèves (lettres, etc.). Sans étalonnage, pas de comparaison possible des prestations des élèves, pas de classement, pas de mise en hiérarchie. Une école sans notes présente de multiples avantages. L’appropriation par les élèves des fondements de la culture écrite redevient sa mission première et exclusive. Ses enseignants n’ont plus d’autre responsabilité que de créer les conditions d’un apprentissage réussi. Et ils seront conviés à l’assumer avec d’autant plus d’insistance qu’il ne sera plus possible de contourner la résolution des difficultés d’apprentissage par l’attribution de « mauvaises notes ». Les élèves pour leur part, débarrassés de l’obsession pesante de la mauvaise note, et de ses conséquences (redoublement, orientation subie, etc.), pourront se consacrer à leurs apprentissages avec beaucoup moins de pression. Les rapports familiaux, actuellement si fortement parasités par l’angoisse scolaire, pourront eux-mêmes y gagner beaucoup de sérénité. Et que dire de l’éradication de cet utilitarisme ravageur qui finit par réduire la scolarisation à une course aux bonnes notes, sans plus d’intérêt réel pour ce que ces notes sanctionnent, sinon que l’on peine à en mesurer tous les bénéfices potentiels ? Seules peut-être les entreprises de cours particuliers, qui se nourrissent de cet utilitarisme (Payez, vous aurez de bonnes notes, payez, vous obtiendrez votre bac !), auraient à perdre à l’instauration d’une école que l’on peut convenir d’appeler « école commune ». Car débarrassée de la notation, et dès lors de sa fonction de hiérarchisation et de sélection des élèves, se vouant à rendre le même service à tous ses publics, l’école n’est plus seulement « unique », elle devient un véritable bien commun.

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Le monde entier se blinde de travail et de sélection, en France, 0 concurrence, 0 sélection. Ailleurs, les gens travaillent comme des fous, en France, l’on entend certains parler de 32 heures de travail hebdomadaire. Certains ne prennent jamais de retraite car ils meurent avant, en France, c’est la retraite à 60 ans ou rien. Les coréens ont poussé le délire jusqu’à l’école après l’école, en France, c’est tout juste si l’on n’érige pas un bûcher contre ces immondes entreprises de soutien scolaire qui surfent sur l’angoisse des parents. C’est sans doute le sens de l’histoire; un signe avant-coureur du déclin.

Si l’on ne classe plus, vu que les enfants n’ont plus de pression scolaire, ils deviennent tous bons et réussissent leurs études. La France se remplit de 99% d’ingénieurs et 1% de techniciens supérieurs. Les parents n’ont plus à se soucier de l’instruction de leurs enfants, puisqu’ils sont bons. Les familles aisées comme par enchantement, cesseront de rechercher des filières d’excellence pour leurs rejetons, ne quitteront pas le pays ( »et puis, on s’en fout qu’ils s’en aillent avec leur argent ») et les inscriront dans les établissements publics. Tout le monde est pareil, intelligent et l’excellence naîtra du ruisseau de l’égalitarisme, le génie, par hasard. Et puis les autres pays qui sélectionnent finiront par se rendre compte que la France a raison et se convertiront à la non-concurrence, à l’évaluation sans notes, les enfants du monde se donneront la main et ils coopéreront tous dans le respect et l’amour.

Les sociétés de soutien scolaire fermeront puisque l’esprit de compétition des élèves aura disparu avec les notes, les professeurs qui en étaient les petites mains en seront quittes pour des remontrances et redeviendront de preux serviteurs de l’égalitarisme scolaire. Le taux de réussite au Bac frôlera les 99% et comme il y aura moins de riches, l’égalité des chances de réussites des différentes classes sociales deviendra réalité et bien sûr, cela ne coûtera pas un sou au contribuable en ces temps de crise.

Plus d’obsession de la compétition et les professeurs pourront se concentrer sur les conditions de réussite et non perdre des journées, voire des mois de travail à corriger des copies et à noter des élèves.

Effet magique supplémentaire, on se repose uniquement sur le jugement des enseignants pour évaluer les progrès des élèves. Jugement qui ne sera certainement pas arbitraire; les enseignants étant des êtres profondément rationnels, sans idéologie, ni parti pris. Et puis, tant qu’à faire, si l’on ne classe pas les élèves, pourquoi classer les professeurs ?

Cerise sur le gâteau,

L’idée d’une école sans notes peut paraître d’autant plus utopique que, précisément, les notes sont devenues un objectif majeur de la scolarisation. On ne saurait oublier cependant que l’école unique, à qui nous devons cette obsession de la notation, a aussi profondément transformé, en quelques décennies, la définition sociale du temps de la jeunesse. Une scolarisation prolongée jusqu’à l’enseignement supérieur fait désormais partie de l’ordre des choses pour une très grande majorité de la population. C’est une norme pratique bien établie, à laquelle on ne déroge plus guère volontairement : seule une petite partie de la population d’élèves manifeste dès le collège une nette volonté de mettre fin à sa scolarité [11].

Inhérente aux transformations d’ensemble de la vie économique et sociale, cette norme est une donnée majeure et première de la question scolaire aujourd’hui. L’obsession des notes lui est subordonnée : c’est bien pour pouvoir respecter la norme et poursuivre normalement sa scolarité qu’il importe tant d’éviter les mauvaises notes. La suppression des notes, en ce sens, ne changera pas la norme : si d’autres moyens existent d’atteindre cette dernière, plus agréables qui plus est, qui voudrait s’en priver ?

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– Instauration du tronc commun

Il ne s’agit donc pas pour l’école commune de classer pour trier et éliminer, mais de conduire tout le monde en un point déterminé, aboutissement du tronc commun.

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Ces pages sont consacrées à la matérialisation de leur projet.

– Éliminer le redoublement

– Supprimer les filières spécialisées par unification des enseignements : général, technologique et professionnel.

– Prolonger la scolarité minimale jusqu’à 18 ans; l’école primaire démarrant à 6 ans

– Mettre en place l’école enfantine : de 3 à 5 ans

– Prolonger le collège unique par le lycée unique
École commune et suppression de la concurrence, scolarité obligatoire portée à 18 ans au terme du tronc commun, culture commune « polytechnique » et amélioration importante de l’efficacité des apprentissages fondamentaux forment donc un ensemble solidaire et cohérent.

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En  conclusion de ce premier chapitre très instructif sur ce délire intellectuel, toutes les idées sont respectables et méritent d’être exposées. Le monde est fait d’utopies: celle-ci est dans la droite lignée de l’air du temps, vu l’influence de ces  »think tanks ».

Il est possible qu’un gouvernement finisse par l’expérimenter. Après tout, l’on a bien réussir à imposer la pertinence de la méthode globale.

 »L’école commune » fait partie de tous ces gadgets intellectuels, hors-sol, qui s’écraseront fatalement sur la dure réalité de la vie.

Nous avons une suggestion assez simple pour améliorer le système éducatif actuel.

Nous proposons de dupliquer le comportement et les techniques de ceux qui réussissent le mieux à naviguer dans ce système unique : copier les stratégies de contournement, d’enseignement, d’évitement des enfants de professeurs. Si ces professeurs savent si bien manœuvrer  pour faire réussir plus massivement et efficacement leurs propres enfants ( »rapport Thelot »), il suffirait de s’imprégner de leurs méthodes pour les généraliser et colmater les brèches de  »l’école unique ». Généralisons le délit d’initiés pour en faire profiter toute la population.

 »L’école commune » : supprimer la non-concurrence à l’école, ne pas noter et avoir un tronc commun de 6 à 18 ans.

Après c’est université, l’on attend la suite du délire à ce stade; sans doute des filières seront tolérées, la compétition envisagée et la sélection reprendra de plus belle. La concurrence pourra alors avoir droit de cité. Enfin, à moins qu’il soit prévu aussi  »l’université commune ». Puis le  »premier emploi commun »…

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Que dire ? Personne de mieux que les auteurs, n’aurait pu résumer la seule vraie évolution qui distinguerait l’école unique  de ce que deviendrait inévitablement cette école commune.

En ce sens, on peut considérer, s’agissant d’entreprendre une réduction massive des inégalités et donc de l’échec scolaires, que la quête du bonheur professionnel peut constituer un puissant levier pour inciter les enseignants à s’engager dans la réforme, fût-ce au prix d’une remise en cause des façons établies de conduire les apprentissages. Sans doute ne se mobiliseront-ils fortement qu’à deux conditions : qu’ils disposent de conditions de travail leur permettant de s’investir dans le processus d’expérimentation et de réflexion pédagogiques, et de participer aux collaborations indispensables ; et que leurs responsabilités propres soient pleinement reconnues par l’attribution et le respect d’une réelle autonomie professionnelle. On ne peut leur proposer de supprimer la notation des élèves s’ils continuent eux-mêmes à faire l’objet d’évaluations et de notations professionnelles mal supportées et mal supportables. Il restera certes légitime de leur demander de justifier leur salaire : mais la seule chose qu’on puisse attendre d’eux, en échange d’une rémunération et de conditions de travail convenables, c’est d’assurer la réussite de leurs élèves.

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Prochain chapitre : Réexaminer les enseignements élémentaires 2/5

 

Osez le bon sens !

YDM

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